Kill you darlings

Ah, le début de l'automne. Mabon allait embaumer les étagères de pommes sucrées et de cannelle. L'encens avait purifié l'endroit pendant que les fenêtres ouvertes laissaient les mauvaises intentions quitter les lieux. Cela n'empêchait pas les livres de se retrouver ouverts à des endroits aléatoires tous les matins, mais cela permettait de renouveler la bonne ambiance de la petite boutique. Deirdre était dans son élément, sa saison préférée. Froid, pluie, montagnes de feuilles colorées, citrouilles... Elle passait ses journées à s'imprégner de chaque instant. Les pâtisseries de l’Eventyr étaient encore plus alléchantes qu’auparavant. Des cinammon roll ? Mais bien sûr en voilà trois kilos ! Des pommes d’amour ? Elle en vend par dizaine ! Et ne parlons pas de ses gâteaux à la citrouille et aux amandes, vous feriez des envieux. Ce qui était clair, c’est que la sorcière qui servait de bibliothécaire était un cordon bleu à en faire pâlir les restaurants, et le temps pluvieux accentuait l’envie des keerniens de manger une bonne pâtisserie au chaud, un plaid sur les genoux pendant qu’ils dévoraient des livres fantastiques, du thé à a cardamome ruisselant dans leur œsophage.

La jolie brune était de bonne humeur aujourd’hui, il pleuvait, le ciel était tumultueux, elle pouvait mettre un joli col roulé terracotta, avec une jupe haute et bien chaude, dans une teinte rougie comme de la terre brûlée. Un petit harnais en cuir pour styliser sa silhouette, des chaussures de sécurité en cuir avec un petit talon, une écharpe en cachemire dont le pas de tricotage donnait un effet nacré à la laine brune… Elle se sentait elle-même, enfin non, presque, l’eyeliner démesuré et le rouge à lèvre bordeaux vinrent terminer ce sentiment. Elle était prête. Salem l’accueillit avec un miaulement rauque, dont lui seul avait le secret, elle lui caressa la tête affectueusement, et la journée démarra tranquillement.

- Salut... je... t'ai apporté quelques livres. Ils trainent depuis un moment à la boutique et j'ai pensé que ça pourrait t’intéresser.

Pas si tranquillement finalement, la dose d’épice dans son pumpkin spice latte venait d’arriver. Elle reconnut avant même de tourner la tête vers lui, le tenancier de la boutique ésotérique. Elle ne savait pas trop quoi penser de cet étrange individu. Elle mettrait sa main au feu qu’il ne croyait en rien de ce qu’il vendait, et pourtant, ses produits étaient d’une qualité étonnante ! Alors, elle avait commencé à croiser cette silhouette fine et penaude régulièrement. Elle tourna la tête, planta ses yeux noirs dans celui de son interlocuteur, et dévoila ses crocs dans un sourire maternel et plutôt sincère. Puis, elle regarda les livres. Ils étaient superbement reliés, la plupart empestait divinement le papier, et surtout, les sujets qu’ils abordaient étaient totalement dans l’esprit de la demoiselle. Il tenait entre ses mains un vrai trésor, et il lui donnait, comme ça, un jour de pluie torrentielle.

- Eh bien Cassius, qu’est-ce que tu m’apportes là ! Ils sont incroyables, tu es sûr que tu veux t’en séparer ? C’est tellement gentil de ta part, et par ce temps en plus ? Tu prendras bien une tasse de thé et une pâtisserie en contrepartie ?  

Elle avait saisi la pile de livre comme si elle possédait la force de soulever des montagnes, et n’avait certainement pas attendu la réponse de son interlocuteur pour foncer à son comptoir, déposer les livres délicatement, et sortir une magnifique part de tarte aux pommes, cannelle, et caramel beurre salé.

- Tu aimes le café plutôt non ? Je vais te faire goûter un matcha, tu y trouveras ton compte en amertume, et ton foie me remerciera ! Un rire frais et tendre outrepassa ses lèvres.

Elle servit donc deux tasses, et emmena le plateau vers une des tables excentrées de la bibliothèque, pour ne pas déranger les quelques assidus dans leur lecture. Puis elle se retourna vers l’homme et se crispa brièvement.

- Où sont mes manières, je peux te débarrasser de ton manteau ? Tu peux prendre un plaid si tu as froid pendant qu’il sèche si tu veux.

La bibliothèque avait une température plutôt chaleureuse, avec cette immense cheminée qui trônait dans la salle de dégustation, chauffant par ailleurs également l’appartement de la jeune femme, au-dessus des locaux commerciaux. Elle préférait la chaleur du bois, plus conviviale et intimiste, que l’électricité, dont les guerres en orient avaient fait monter le prix ! Mais malgré tout, un plaid sur les genoux était toujours agréable, surtout quand on vient de braver la tempête pour des livres.

Elle lui tendit un plaid en poil de yack, tout droit venu du Tibet, et l’invita à prendre place en face d’elle. Il fallait manger cette tarte pendant qu’elle était encore tiède !